Sentir aussi le soleil


Je déambule dans l’entre deux, tout autant dans ma vie d’homme que dans mon choix  d’être photographe. Je recherche du sens dans mon désir du détail, du plaisir d’observer la lumière, le temps et peut être aussi le donner à voir. C’est un voyage dans le milieu du reste de ma vie mais aussi vers les limites de la ville finissante, du nord au sud, sur mon vélo, là où, comme un crépuscule, la nature reprend ses droits, subtilement, inexorablement. Les habitations deviennent des carrés de couleurs se fondant dans l’herbe ocre comme un ciel diffus changeant. Un chien abois. Il me voit de loin, suffisamment pour éveiller son instinct. J’avance doucement, je croise les lignes, celles de mon regard et celles des ombres, des feuilles folles, des camaïeus de verts. Je cadre ce qui s’arrête, ce qui commence, le presque rien. La lumière s’intensifie, timide mais présente. Le reflet vert du canal teinté de feuilles d’eau s’imprime brutalement sur ma rétine. Je me retourne et là d’un coup, tout devient évident comme l’autre face de la médaille, l’effigie binaire d’une quête sans fin s’affiche sous mes yeux. Le rien s’organise en tableau harmonieux et délicat. Un pont en pierre traverse ce canal. Je m’arrête juste avant à une borne invisible, au point précis où une nuée d’oiseaux noirs cachés caquette en choeur. J’enregistre même leur envol au moment où, apeurés, ils s’envolent en nuage noir. Rien ne pouvait le prévoir. Cette rapidité fluide me rappelle mon désir de capturer le temps où plutôt mon ressenti intérieur devant la mutation du réel à se transformer en or, filtrer par le regard qui aime, le même élan imprévu, aussi lent que rapide car dynamique, suspendu, déliquescent, permanent, obsédant, et terriblement exigeant.


Philippe Hervouet, Août 2016

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